Ça y est ! Après tant d’hésitations vous avez décidé de passer à l’attaque. Vous allez enfin prendre le pouvoir et servir votre poche, votre pays comme il se doit. Voici, prêts à être employés dix conseils pour devenir guide éclairé sur la terre de vos ancêtres.
I. Trahir à volonté
Une première chose à savoir quand on veut devenir un dictateur accompli, un despote qui est aussi craint que respecté c’est que vous ne devez pas vous embarrasser de scrupules. Ça ne sert à rien, ça pue et ça vous empêche de dormir la nuit. Que ce soit votre père, votre oncle, votre compagnon d’armes ou de lutte, vous devez être prêt à marcher sur tout ce beau petit monde pour accéder au sommet. Les places sont chères, il n’y a qu’un seul fauteuil. Vous avez appris que l’enfer est pavé de bonnes intentions ? L’ascension vers le pouvoir est pavée de cadavres d’amis, c’est aussi simple que ça. Trahissez, prenez de la peine. Ne laissez nul compagnon où le tacle ne passe pas et ne repasse. Emprisonnez ceux qui en savent trop sur votre passé peu glorieux, jetez en pâture à la vindicte populaire ceux qui osent vous regarder dans les yeux, ces impertinents qui osent contester votre pouvoir naissant.
II. Se donner une figure messianique
C’est bien connu, la religion est l’opium du peuple. Les gens stupides se nourrissent d’espoir. Eh bien, vous incarnerez cet espoir-là. Une officine noire va enrober de mystère les circonstances de votre naissance, semer quelques coïncidences extraordinaires sur votre parcours, répandre quelques rumeurs mystiques à votre sujet. Vous, oui vous, êtes le projet de Dieu pour ce peuple en pleine perdition, vous êtes le salut, vous êtes le sauveur ! Nul n’ira au pouvoir sans vous passer sur votre corps ensanglanté. Le ponpon c’est quand vous échappez mystérieusement à un « attentat » où tout vous destinait à rester. Et vous voilà, à défaut d’être un Messie en aube blanche, un petit diable à craindre par vos adversaires les plus féroces.
III. S’appuyer sur un parti unique
Si vous ne suivez pas cette leçon, vous devrez reprendre votre année dans notre illustre académie car elle vaut à elle seule la moitié des unités d’enseignement conduisant au passage en classe supérieure. A cette étape donc, il vous faut soit susciter l’appel du peuple vous implorant de venir aux affaires si vous venez des corps habillésen effet ça fait désordre, un militaire qui abandonne le treillis pour descendre dans l’arène politique ou réformer le parti que vous meniez avec vos compagnons de lutte, ceux-là même que vous avez jetés en prison à la leçon I. Le but ultime dans chacun des cas c’est de prendre la tête d’un parti de « large ouverture » dont le chef tient bien la fermeture. Pour le nom, ne vous fatiguez point. Il faut un nom qui indique que tout le monde en fait partie. La boîte dans laquelle vous piochez doit contenir : Rassemblement, Démocratique, Peuple, Populaire, Union, Parti, Mouvement. Combinez à souhait et ajoutez l’épithète associé à votre peuple. Vous obtenez : Rassemblement du Peuple Togolais, Parti Démocratique Gabonais, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, Mouvement Populaire de la Révolution… Vous voyez que vos illustres aînés ont bien suivi la leçon. Laissez mijoter tout ceci et vous obtenez un parti-Etat au goût savoureux. C’est l’instrument qui vous permet de créer un Etat dans l’Etat et affaiblir durablement les contre-pouvoirs ridicules prévus par la Constitution.
IV. Ne faire confiance qu’aux gens de votre clan
N’importez pas chez vous des choses qui diluent l’autorité traditionnelle. La démocratie, c’est bien. Le système de gouvernance dans votre village c’est nettement mieux. Appuyez-vous donc sur les gens de votre village, votre région, votre ethnie. Nommez systématiquement à la tête des institutions régaliennes des cousins du village, des frères de clan. Profiter seul du pouvoir peut vous aliéner des ennemis mortels, profitez-en à plusieurs, vous conserverez la bénédiction des sages de chez vous. Avant chaque nomination, vérifiez minutieusement le pedigree des candidats, éliminez systématiquement les gens issus des ethnies supposées favorables à vos opposants, faites de même avec les « métissés ethniques ». Priviliégez les « et » (père ET mère, issus de votre clan), adoptez une défiance par rapport aux « ou ». Les demi-mesures conduisent aux demi-loyautés.
V. Déstabiliser les institutions
Tout le monde le sait, les institutions ça ne sert à rien à part vous faire chier. Pourquoi distribuer le pouvoir que vous vous êtes donné tant de mal à conquérir ? Equilibre des pouvoirs ? Vous êtes suffisamment raisonnable pour contrôler l’usage que vous faites du pouvoir qui ne vous a pas été confié. Il urge donc d’équilibrer les pouvoirs de telle façon que personne ne vienne mettre son gros nez dans vos affaires : vous vous organiserez donc de manière à gagner systématiquement les législatives, vous nommerez des gens qui vous sont favorables au parquet, interrogerez les candidats à la magistrature sur leurs origines. Si malgré toutes vos précautions, ces raclures d’opposants parviennent à prendre l’Assemblée Nationale, vous créerez un Sénat pour caser vos vieux copains et diluer le pouvoir de l’Assemblée rebelle. En tout état de cause vous rechercherez sans cesse la concentration des pouvoirs dans vos mains tout en donnant à votre peuple et aux observateurs extérieurs que les institutions fonctionnent. Votre célèbre devancier dans cette académie, Louis XIV ne disait-il pas : « L’Etat, c’est moi » ?
VI. S’inventer des ennemis imaginaires
Il faut vous y préparer, toutes les bonnes choses ont une fin. Le pouvoir absolu attise les convoites, et au peuple donne de choses illusoires la faim : la démocratie, la liberté, l’auto-détermination. Toutes ces choses détestables que votre autorité a en horreur. Afin de prolonger votre règne et mobiliser vos populations autour d’un idéal, il convient de vous créer un ennemi, s’il n’en existe aucun à même de susciter la détestation populaire. Il peut s’agir du voisin auquel l’histoire vous a si souvent opposé. Mais ce qui est encore mieux, c’est les multinationales mercantiles avides d’argent appuyées par l’ancienne métropole qui se repaissent du sang de votre peuple, et à qui vous avez accessoirement attribué des contrats juteux dont les retro-commissions sont allés gonfler vos comptes en Suisse. Les peuples sont sensibles à ces oppositions style David contre Goliath. Cela vous permet de gagner du temps, souder le peuple derrière son Messie qui le défend contre le géant malfaisant.
VII. S’acheter un adversaire dans l’opposition
Lorsque les effets de la leçon précédente s’estomperont, que vous le vouliez ou non, il faudra passer la case « élections ». Votre opposition, dans le but de décrédibiliser un processus où vous vous serez donné tant de mal pour modifier la constitution, amoindrir la marge de manœuvre de vos adversaires, les intimider, tentera, injure suprême, de boycotter les élections. A ce moment, souvenez-vous : il faut être deux pour danser un tango. Dans chaque famille, il y a un mouton noir. Il se cache dans le troupeau bêlant de ceux qui vous fustigent au quotidien. Repérez ce délicieux gibier et offrez-lui un appât. En général, il convient de choisir celui qui acceptera de se faire battre le plus largement. Plus le pourcentage que vous souhaiterez voir proclamé en votre faveur à l’issue de cette mascarade sera élevé plus il vous faudra de zéros à aligner sur le chèque pour attirer votre adversaire dans cette piste de danse macabre. Rassurez-vous, chaque homme a un prix au-délà duquel ses convictions disparaissent dans le tourbillon des millions comme les déjections dans les toilettes, un prix auquel on a moins de scrupules à accepter l’inacceptable, un prix auquel on embrasse le diable et on ne trouve pas cela si mal. Achetez-vous un adversaire, un illustre inconnu qui dira que boycotter les élections n’est pas une solution et que choisir une telle démarche c’est s’assurer de vous voir réélu indéfiniment. Gagnez avec un score stalinien et assurez-vous de continuer votre œuvre messianique encore un quinquennat ou un septennat.
VIII. Mettre les institutions électorales au pas
Beaucoup d’apprentis dictateurs pensent que la première institution électorale à contrôler c’est la commission électorale. Grave erreur ! L’institution qui valide les résultats ou non c’est l’armée. Il est important d’y reproduire le même schéma qu’avec l’administration publique. Vous nommez systématiquement les gens de votre village aux postes stratégiques. Vous entretiendrez au sein de votre armée une ambiance délétère de façon à ce qu’elle ne songe jamais à vous renverser. Récompensez ceux qui se sont rendus coupables d’exactions et punissez sévèrement ceux à qui vient l’idée saugrenue de servir l’intérêt public. Une armée républicaine ? Quelle œuvre futile en tant de paix ! Qui vous défendrait, vous contre un peuple épris de justice et de liberté ? Ce qu’il vous faut c’est une garde prétorienne servile et complètement dénuée de jugeote. Une bande d’ignares qui dépasse vos espérances en terme de répression et qui est capable de mater le moindre soubresaut de façon disproportionnée. Il faut frapper les esprits ! Une fois que vous avez une armée à votre solde, désorganisez complètement le processus électoral : gonflez les listes électorales, faites voter les morts et les mineurs, troublez le fonctionnement de la commission électorale, livrez-vous à des provocations régulières de façon à excéder l’opposition qui finit par quitter les assises furieuse. Il ne vous restera plus qu’à tripatouiller les résultats et accuser votre opposition complètement désorganisée de fraude pour compléter le tableau. Et le tour est joué, vous voilà réélu !
IX. Entretenir une méfiance sans limite face aux médias et réseaux sociaux
Ça y est vous avez gagné les élections transparentes haut la main, les doigts dans le nez, le pied au cul de ces nuisibles d’opposants. Première mesure de votre nouveau mandat : coupez les télécommunications et internet. Vous avez gagné honnêtement, il n’est rien d’autre que le monde ait besoin de savoir. Arrêtez rapidement le correspondant de RFI ou de l’AFP et expulsez-le: défaut de visa, entrée illégale sur le territoire par votre aéroport international, diffamation, traitement tendancieux de l’information, sa tête ne vous a jamais plu ; toutes les raisons sont recevables. Priver votre pays d’internet c’est l’assurance de ne pas voir les fausses informations se répandre sur les réseaux sociaux, cette peste des temps modernes, ce repaire de dangereux terroristes, diffamateurs, ces paresseux qui n’ont rien à faire de leur vie à part vous critiquer, ces comploteurs manipulés par les occidentaux et votre opposition, ces chiens galeux qui trouvent toujours à redire quoi que vous fassiez. Une seule voix compte c’est les médias d’Etat, les mêmes qui diffusent de la musique ou un feuilleton pendant que l’armée est dans la rue matant ce peuple ingrat qui se révolte contre votre belle réélection. Les coups en musique, c’est bien connu, ça sonne mieux !
X. Laissez d’autres se charger des basses besognes
Vous êtes le Messie, vous avez toujours raison, vous ne pouvez donc pas avoir les mains sales. Il vous faut quelqu’un pour se charger des tâches les moins glorieuses, mener la répression, diriger les assassinats ciblés. Il s’agit de quelqu’un qui a toute votre confiance, qui a les pleins pouvoirs pour expurger le pays de cette vermine qui s’oppose etqui braille. C’est celui que les organisations des droits de l’Homme désigneront comme responsable des exactions de votre armée, c’est lui qui sera visé par les sanctions des organisations internationales. Ce qu’il vous faut, c’est un fusible, celui que vous sacrifierez lorsque les choses tourneront mal et que vous devrez donner une tête à couper à la Cour Pénale Internationale pour calmer les opinions publiques occidentales de vos amis qui auront préalables entériné votre élection du bout des lèvres. Vous apparaîtrez ainsi dans votre gloire comme quelqu’un de juste qui ne saurait couvrir le moindre crime. Que disions-nous, vous êtes le Messie, très cher, il est hors de question de remonter sur la croix.
Bonus : Endormir le peuple
Pour que votre pouvoir dure, vous devez impérativement empêcher votre peuple de s’éveiller en ce qui concerne vos agissements, ses droits, et toutes ces choses futiles qui amènent tant d’agitations inutiles. Pour ce faire, point n’est besoin d’émissions subversives à la télé ou à la radio nationales. Flattez les bas instincts plutôt : des clips à la limite de la pornographie pour ces messieurs et des feuilletons pour ces dames suffisent amplement. Pendant qu’ils sont occupés à rêver d’une meilleure version d’eux-mêmes, pensent-ils à un meilleur devenir de la nation ? Non, assurément.
Dernière conseil, et il est gratuit, ne lisez surtout pas les contributions des autres challengers du Blog Contest sur le thème « Devenir un dictateur africain en dix leçons ». Je vous mets tout de même les liens vers les blogs de ces autres personnages subversifs qui tiennent des propos séditieux sur les réseaux sociaux :
Christian
Elie