Le Dictateur Africain : Starter Pack. Le Kit en 10 leçons pour devenir maître chez vous.

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Bienvenue à l’Académie Africaine des Dictateurs en Herbe

Ça y est ! Après tant d’hésitations vous avez décidé de passer à l’attaque. Vous allez enfin prendre le pouvoir et servir votre poche, votre pays comme il se doit. Voici, prêts à être employés dix conseils pour devenir guide éclairé sur la terre de vos ancêtres.

I. Trahir à volonté

Une première chose à savoir quand on veut devenir un dictateur accompli, un despote qui est aussi craint que respecté c’est que vous ne devez pas vous embarrasser de scrupules. Ça ne sert à rien, ça pue et ça vous empêche de dormir la nuit. Que ce soit votre père, votre oncle, votre compagnon d’armes ou de lutte, vous devez être prêt à marcher sur tout ce beau petit monde pour accéder au sommet. Les places sont chères, il n’y a qu’un seul fauteuil. Vous avez appris que l’enfer est pavé de bonnes intentions ? L’ascension vers le pouvoir est pavée de cadavres d’amis, c’est aussi simple que ça. Trahissez, prenez de la peine. Ne laissez nul compagnon où le tacle ne passe pas et ne repasse. Emprisonnez ceux qui en savent trop sur votre passé peu glorieux, jetez en pâture à la vindicte populaire ceux qui osent vous regarder dans les yeux, ces impertinents qui osent contester votre pouvoir naissant.

II. Se donner une figure messianique

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C’est bien connu, la religion est l’opium du peuple. Les gens stupides se nourrissent d’espoir. Eh bien, vous incarnerez cet espoir-là. Une officine noire va enrober de mystère les circonstances de votre naissance, semer quelques coïncidences extraordinaires sur votre parcours, répandre quelques rumeurs mystiques à votre sujet. Vous, oui vous, êtes le projet de Dieu pour ce peuple en pleine perdition, vous êtes le salut, vous êtes le sauveur ! Nul n’ira au pouvoir sans vous passer sur votre corps ensanglanté. Le ponpon c’est quand vous échappez mystérieusement à un « attentat » où tout vous destinait à rester. Et vous voilà, à défaut d’être un Messie en aube blanche, un petit diable à craindre par vos adversaires les plus féroces.

III. S’appuyer sur un parti unique

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Les animatrices du MPR Zaïrois

Si vous ne suivez pas cette leçon, vous devrez reprendre votre année dans notre illustre académie car elle vaut à elle seule la moitié des unités d’enseignement conduisant au passage en classe supérieure. A cette étape donc, il vous faut soit susciter l’appel du peuple vous implorant de venir aux affaires si vous venez des corps habillésen effet ça fait désordre, un militaire qui abandonne le treillis pour descendre dans l’arène politique ou réformer le parti que vous meniez avec vos compagnons de lutte, ceux-là même que vous avez jetés en prison à la leçon I.  Le but ultime dans chacun des cas c’est de prendre la tête d’un parti de « large ouverture » dont le chef tient bien la fermeture. Pour le nom, ne vous fatiguez point. Il faut un nom qui indique que tout le monde en fait partie. La boîte dans laquelle vous piochez  doit contenir : Rassemblement, Démocratique, Peuple, Populaire, Union, Parti, Mouvement. Combinez à souhait et ajoutez l’épithète associé à votre peuple. Vous obtenez : Rassemblement du Peuple Togolais, Parti Démocratique Gabonais, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, Mouvement Populaire de la Révolution… Vous voyez que vos illustres aînés ont bien suivi la leçon. Laissez mijoter tout ceci et vous obtenez un parti-Etat au goût savoureux. C’est l’instrument qui vous permet de créer un Etat dans l’Etat et affaiblir durablement les contre-pouvoirs ridicules prévus par la Constitution.

IV. Ne faire confiance qu’aux gens de votre clan

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N’importez pas chez vous des choses qui diluent l’autorité traditionnelle. La démocratie, c’est bien. Le système de gouvernance dans votre village c’est nettement mieux. Appuyez-vous donc sur les gens de votre village, votre région, votre ethnie. Nommez systématiquement à la tête des institutions régaliennes des cousins du village, des frères de clan. Profiter seul du pouvoir peut vous aliéner des ennemis mortels, profitez-en à plusieurs, vous conserverez la bénédiction des sages de chez vous. Avant chaque nomination, vérifiez minutieusement le pedigree des candidats, éliminez systématiquement les gens issus des ethnies supposées favorables à vos opposants, faites de même avec les « métissés ethniques ». Priviliégez les « et » (père ET mère, issus de votre clan), adoptez une défiance par rapport aux « ou ». Les demi-mesures conduisent aux demi-loyautés.

V. Déstabiliser les institutions

Tout le monde le sait, les institutions ça ne sert à rien à part vous faire chier. Pourquoi distribuer le pouvoir que vous vous êtes donné tant de mal à conquérir ? Equilibre des pouvoirs ? Vous êtes suffisamment raisonnable pour contrôler l’usage que vous faites du pouvoir qui ne vous a pas été confié. Il urge donc d’équilibrer les pouvoirs de telle façon que personne ne vienne mettre son gros nez dans vos affaires : vous vous organiserez donc de manière à gagner systématiquement les législatives, vous nommerez des gens qui vous sont favorables au parquet, interrogerez les candidats à la magistrature sur leurs origines. Si malgré toutes vos précautions, ces raclures d’opposants parviennent à prendre l’Assemblée Nationale, vous créerez un Sénat pour caser vos vieux copains et diluer le pouvoir de l’Assemblée rebelle. En tout état de cause vous rechercherez sans cesse la concentration des pouvoirs dans vos mains tout en donnant à votre peuple et aux observateurs extérieurs que les institutions fonctionnent. Votre célèbre devancier dans cette académie, Louis XIV ne disait-il pas : « L’Etat, c’est moi » ?

VI. S’inventer des ennemis imaginaires

Il faut vous y préparer, toutes les bonnes choses ont une fin. Le pouvoir absolu attise les convoites, et au peuple donne de choses illusoires la faim : la démocratie, la liberté, l’auto-détermination. Toutes ces choses détestables que votre autorité a en horreur. Afin de prolonger votre règne et mobiliser vos populations autour d’un idéal, il convient de vous créer un ennemi, s’il n’en existe aucun à même de susciter la détestation populaire. Il peut s’agir du voisin auquel l’histoire vous a si souvent opposé. Mais ce qui est encore mieux, c’est les multinationales mercantiles avides d’argent appuyées par l’ancienne métropole qui se repaissent du sang de votre peuple, et à qui vous avez accessoirement attribué des contrats juteux dont les retro-commissions sont allés gonfler vos comptes en Suisse. Les peuples sont sensibles à ces oppositions style David contre Goliath. Cela vous permet de gagner du temps, souder le peuple derrière son Messie qui le défend contre le géant malfaisant.

VII. S’acheter un adversaire dans l’opposition

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Lorsque les effets de la leçon précédente s’estomperont, que vous le vouliez ou non, il faudra passer la case « élections ». Votre opposition, dans le but de décrédibiliser un processus où vous vous serez donné tant de mal pour modifier la constitution, amoindrir la marge de manœuvre de vos adversaires, les intimider, tentera, injure suprême, de boycotter les élections. A ce moment, souvenez-vous : il faut être deux pour danser un tango. Dans chaque famille, il y a un mouton noir. Il se cache dans le troupeau bêlant de ceux qui vous fustigent au quotidien. Repérez ce délicieux gibier et offrez-lui un appât. En général, il convient de choisir celui qui acceptera de se faire battre le plus largement. Plus le pourcentage que vous souhaiterez voir proclamé en votre faveur à l’issue de cette mascarade sera élevé plus il vous faudra de zéros à aligner sur le chèque pour attirer votre adversaire dans cette piste de danse macabre. Rassurez-vous, chaque homme a un prix au-délà duquel ses convictions disparaissent dans le tourbillon des millions comme les déjections dans les toilettes, un prix auquel on a moins de scrupules à accepter l’inacceptable, un prix auquel on embrasse le diable et on ne trouve pas cela si mal. Achetez-vous un adversaire, un illustre inconnu qui dira que boycotter les élections n’est pas une solution et que choisir une telle démarche c’est s’assurer de vous voir réélu indéfiniment. Gagnez avec un score stalinien et assurez-vous de continuer votre œuvre messianique encore un quinquennat ou un septennat.

VIII. Mettre les institutions électorales au pas

Beaucoup d’apprentis dictateurs pensent que la première institution électorale à contrôler c’est la commission électorale. Grave erreur ! L’institution qui valide les résultats ou non c’est l’armée. Il est important d’y reproduire le même schéma qu’avec l’administration publique. Vous nommez systématiquement les gens de votre village aux postes stratégiques. Vous entretiendrez au sein de votre armée une ambiance délétère de façon à ce qu’elle ne songe jamais à vous renverser. Récompensez ceux qui se sont rendus coupables d’exactions et punissez sévèrement ceux à qui vient l’idée saugrenue de servir l’intérêt public. Une armée républicaine ? Quelle œuvre futile en tant de paix ! Qui vous défendrait, vous contre un peuple épris de justice et de liberté ? Ce qu’il vous faut c’est une garde prétorienne servile et complètement dénuée de jugeote. Une bande d’ignares qui dépasse vos espérances en terme de répression et qui est capable de mater le moindre soubresaut de façon disproportionnée. Il faut frapper les esprits ! Une fois que vous avez une armée à votre solde, désorganisez complètement le processus électoral : gonflez les listes électorales, faites voter les morts et les mineurs, troublez le fonctionnement de la commission électorale, livrez-vous à des provocations régulières de façon à excéder l’opposition qui finit par quitter les assises furieuse. Il ne vous restera plus qu’à tripatouiller les résultats et accuser votre opposition complètement désorganisée de fraude pour compléter le tableau. Et le tour est joué, vous voilà réélu !

IX. Entretenir une méfiance sans limite face aux médias et réseaux sociaux

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Vous repasserez demain svp !

Ça y est vous avez gagné les élections transparentes haut la main, les doigts dans le nez, le pied au cul de ces nuisibles d’opposants. Première mesure de votre nouveau mandat : coupez les télécommunications et internet. Vous avez gagné honnêtement, il n’est rien d’autre que le monde ait besoin de savoir. Arrêtez rapidement le correspondant de RFI ou de l’AFP et expulsez-le: défaut de visa, entrée illégale sur le territoire par votre aéroport international, diffamation, traitement tendancieux de l’information, sa tête ne vous a jamais plu ; toutes les raisons sont recevables. Priver votre pays d’internet c’est l’assurance de ne pas voir les fausses informations se répandre sur les réseaux sociaux, cette peste des temps modernes, ce repaire de dangereux terroristes, diffamateurs, ces paresseux qui n’ont rien à faire de leur vie à part vous critiquer, ces comploteurs manipulés par les occidentaux et votre opposition, ces chiens galeux qui trouvent toujours à redire quoi que vous fassiez. Une seule voix compte c’est les médias d’Etat, les mêmes qui diffusent de la musique ou un feuilleton pendant que l’armée est dans la rue matant ce peuple ingrat qui se révolte contre votre belle réélection. Les coups en musique, c’est bien connu, ça sonne mieux !

X. Laissez d’autres se charger des basses besognes

Vous êtes le Messie, vous avez toujours raison, vous ne pouvez donc pas avoir les mains sales. Il vous faut quelqu’un pour se charger des tâches les moins glorieuses, mener la répression, diriger les assassinats ciblés. Il s’agit de quelqu’un qui a toute votre confiance, qui a les pleins pouvoirs pour expurger le pays de cette vermine qui s’oppose etqui braille. C’est celui que les organisations des droits de l’Homme désigneront comme responsable des exactions de votre armée, c’est lui qui sera visé par les sanctions des organisations internationales. Ce qu’il vous faut, c’est un fusible, celui que vous sacrifierez lorsque les choses tourneront mal et que vous devrez donner une tête à couper à la Cour Pénale Internationale pour calmer les opinions publiques occidentales de vos amis qui auront préalables entériné votre élection du bout des lèvres. Vous apparaîtrez ainsi dans votre gloire comme quelqu’un de juste qui ne saurait couvrir le moindre crime. Que disions-nous, vous êtes le Messie, très cher, il est hors de question de remonter sur la croix.

Bonus : Endormir le peuple

Pour que votre pouvoir dure, vous devez impérativement empêcher votre peuple de s’éveiller en ce qui concerne vos agissements, ses droits, et toutes ces choses futiles qui amènent tant d’agitations inutiles. Pour ce faire, point n’est besoin d’émissions subversives à la télé ou à la radio nationales. Flattez les bas instincts plutôt : des clips à la limite de la pornographie pour ces messieurs et des feuilletons pour ces dames suffisent amplement. Pendant qu’ils sont occupés à rêver d’une meilleure version d’eux-mêmes, pensent-ils à un meilleur devenir de la nation ? Non, assurément.

Dernière conseil, et il est gratuit, ne lisez surtout pas les contributions des autres challengers du Blog Contest sur le thème « Devenir un dictateur africain en dix leçons ». Je vous mets tout de même les liens vers les blogs de ces autres personnages subversifs qui tiennent des propos séditieux sur les réseaux sociaux :

Arsène

Christian

Elie

Leyo

Obone

Le Dictateur Africain : Starter Pack. Le Kit en 10 leçons pour devenir maître chez vous.

Vous êtes juge, jugez donc !

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Source: lexpress.fr

Monsieur le Juge, je n’ai pas besoin d’avocat. Vous avez déjà prévu de me manger tout cru, de toute façon. Si je dois aller croupir en taule quelques semaines autant épargner à mes finances, si tant est que posséder quelques pièces en poche puisse s’appeler ainsi, la douleur de payer un quelconque filou pour qu’il vous dise ce que vous ne voulez pas entendre et me dise à moi, dans un langage que je ne comprends pas, que la société pense que je suis une vermine sur laquelle, elle a tôt fait de marcher sans se retourner.

Votre honneur, j’étais là. Oui j’avais un pavé à la main quand ils m’ont arrêté. Je ne veux pas manquer de respect à ce tribunal, je dis donc qu’ils m’ont arrêté. La vérité c’est que j’ai été coursé comme un lapin, molesté comme un esclave, tabassé comme un voleur. Mais comme ces Messieurs sont en uniforme bleu, cette conduite est socialement acceptable. J’aurais fait la même chose torse et pieds nus, le qualificatif de sauvage, de brigand m’aurait été accolé sans que cela n’émeuve personne dans cet auditoire. L’habit fait-il alors le moine ? Puisque vous êtes ici pour cela, jugez donc !

Même si je passe sous silence nombre de coups et de tortures qui m’ont été infligés durant ces quelques jours qui séparent mon arrestation et de ce jour où vous allez décider de mon sort, je le dois à mes parents ici présents d’affirmer devant tous que je ne suis ni un « batard » ni un « mal élevé ». Comme la majorité des enfants de cette nation j’ai été élevé par des parents qui avaient à cœur de me transmettre les valeurs de respect et de bonne moralité. Mais quand après le bac, tu te retrouves à faire le zémidjan pour t’en sortir alors que les camarades moins doués multiplient les stages dans les grandes entreprises de Lomé, les bons principes, ça te sort pas le nez. Vous ne mesurez sans doute pas la violence que constitue cet ascenseur social bloqué pour nous autres alors qu’il fonctionne à plein régime pour ceux dont les parents ont les bons contacts.

Certes, cela ne justifie pas tout ce qui s’est passé à Awatamé le mois passé. Qui pourrait rester impassible face à un tel déferlement de violence ? Ne vous y trompez pas, Monsieur le juge, je ne suis pas ici pour faire amende honorable. J’attends votre condamnation avec sérénité même. Je suis ici pour avoir des réponses puisque personne ne veut jamais répondre aux citoyens de ce pays. Où était la justice lorsque la petite Virginie a été fauchée par le fils passablement éméché d’un des cadres du parti au pouvoir et qu’on l’a retrouvé en ville à faire la java la semaine qui a suivi ? Pourquoi le directeur exécutif d’une des grandes banques de la place continue à dormir sur ses deux oreilles alors que les témoignages au sujet des attouchements auxquels il s’est livrés sur des mineurs continuent à s’accumuler comme les ordures au bord de la lagune de Nyékonakpoè ? Quel juge a enquêté sur la fortune du Ministre Tout Puissant qui possède une villa de luxe dans chaque quartier de la capitale ? La justice n’est donc pas pour tous, uniquement contre certains ?

Voyez-vous votre Honneur, c’est la violence qui engendre la violence. Mes camarades et moi n’avons pas mauvais fond. Le petit Ousmane qui a été tabassé à mort par les forces de l’ordre parce qu’il vendait de l’essence frelatée, nous le connaissions tous. Il rendait service à tout le monde au quartier. Quand nous devions affronter les équipes des autres quartiers, nous étions rassurés de l’avoir dans nos rangs parce qu’Ousmane était le meilleur d’entre nous. Dans d’autres circonstances, sous d’autres cieux, il ne lui serait jamais venu à l’esprit de vendre cette essence qui ronge les doigts pour subvenir aux besoins de sa mère aveugle et de ses deux sœurs cadettes. Ailleurs, Ousmane aurait vécu de son talent. Voir le corps inerte de ce jeune homme abandonné à même la chaussée et la brigade de police s’en éloigner, se ménageant un passage vers le fourgon à coup de gaz lacrymogène, nous a retourné les tripes, et le cerveau avec. Nous étions fous de rage du fait que ce pays qui mange ses propres enfants sans jamais les avoir porté sur ses épaules vienne demander à Ousmane d’arrêter de faire ce qui lui permettait de survivre. Alors Djibril a pris un bâton, Têvi a pris un pavé, je lui ai emboîté le pas, des dizaines d’autres aussi. Et nous avons caillassé le fourgon de police. Nous avons cassé les feux rouges flambants neufs, nous avons tiré quelques vieux pneus sur la route et y avons mis le feu. C’était si peu de choses à côté de la désespérance qui nous animait…

Que cela soit qualifié d’actes inciviques, soit ! Qu’il me soit permis cependant de demander : est-ce plus incivique que de détourner les deniers publics pour son compte personnel, ne jamais rendre de compte pour sa gestion de la nation, s’éterniser au pouvoir par diverses gesticulations électorales ? Celui qui laisse ses concitoyens se soigner dans des hôpitaux où les chirurgiens se lavent les mains avec de l’eau en sachet, celui qui laisse les professeurs enseigner pendant des mois sans solde, la même personne qui sait pourtant trouver 20 milliards de nos francs pour organiser un sommet aussi inutile que farfelu, celle-là même qui a juré de protéger la constitution et qui la viole à la nuit tombée, cette personne-là a-t-elle plus de civisme que nous autres qui avons jeté des pavés ? Vous êtes juge, jugez donc!

Votre honneur, l’incivisme c’est ce qui reste à nous autres, petites gens lorsque la coupe de notre colère et de la frustration déborde. C’est notre réponse à la violence de l’appareil d’Etat dont nous sommes les perpétuelles victimes. On ne peut pas, il est vrai, justifier tout et n’importe quoi mais il faut avouer que dans un pays comme le nôtre où certains ont le sentiment d’être au-dessus de la loi et ce en toute impunité, qui peut empêcher le chauffeur qui se croit au-dessus de la loi dans son taxi de brûler un feu rouge ?  Qui va empêcher la dame de jeter ses ordures au milieu de la rue alors que les impôts qu’elle paye ne permettent pas de mettre en place une collecte efficace des déchets ménagers ? Qui va dire à ce jeune qui tourne mal qu’entrer chez les gens par effraction c’est mal alors que les militaires défoncent les portails des gens et entrent dans les maisons par la force quand il y a des troubles en ville ?

Messieurs, dames vous le voyez bien, il y a d’autant plus d’actes inciviques que les gens se sentent bafoués dans leur dignité, s’estiment peu écoutés, jugent les réponses violentes des autorités totalement inadaptées. Il y a dans l’incivisme ce mal qu’on se fait au final à soi, comme autant de scarifications pour extérioriser la violence qui boue dans les veines.

Le jour où nos dirigeants prendront la résolution de faire respecter les mêmes lois pour tous les justiciables, quand les populations se sentiront pleinement intégrées dans leur citoyenneté, lorsqu’on adressera en guise de réponse à des actes déviants beaucoup plus de pédagogie et moins de répression ultra-violente, nous pourrons nourrir l’espoir d’une société apaisée, soudée autour de valeurs portées pour tous et chacun. En attendant que ce jour tant souhaité arrive, vous allez me condamner sans aucun doute. Ainsi sont les choses dans notre ripoux-blique. Qu’il me soit permis cependant permis de poser une dernière question: qui rendra enfin justice à Ousmane ?

Vous êtes juge, jugez !

Et toi cher (chère) lecteur (lectrice) comment trancherais-tu, après une telle plaidoirie ?

 

Ce texte fictif a été écrit dans le cadre #TBCS4E4 dont le thème est : L’incivisme chez l’adulte, un exemple pour la nouvelle génération. Toute ressemblance avec des faits ou personnages existants ou ayant existé est purement fortuite. Quoique…

Lisez ici, sur le même thème la contribution de :

Arsène

Christian

Elie

Leyo

Obone

 

Vous êtes juge, jugez donc !

Le piment dans quelle sauce ?

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Source: http://www.from-the-source.com (No kidding !!)

Bonsoir Reniss,

C’est avec un plaisir non dissimulé que je me pose, entre deux recettes, l’une brûlée, l’autre trop salée pour t’adresser cette missive qui je l’espère conviendra à ton bon goût. Yes, les formulations old school !

Reniss, tu me permettras de t’appeler ainsi par ton « petit nom » (Nom de caresse comme on dit parfois chez moi), puisque depuis que tu es entrée insidieusement dans ma maison un soir de Juin dernier, j’ai l’impression que tu fais partie de la famille. Ce soir-là, tu as allongé ta sauce jusqu’aux oreilles de mon petit garçon et tu m’as fait passer pour un vieux con par la même occasion mais, c’est la famille, je te pardonne. Après le bisou habituel que je recueille tel une feuille de laurier des lèvres de mon petit bout de chou sur mes joues tu vas en bouffer des métaphores culinaires, chacun son tour, il se remit à chanter comme un mantra aux accents de curry « Dans la sauce ! Dans la sauce ! Le piment dans la sauce ». Tout à mon étonnement, je me retournai vers mon second de cuisine (eh oui y’en a qui ont de la chance : l’homme porte la culotte et fait aussi la cuisine – pour huer cette blague misogyne, sexiste, machiste, tapez 1  ).

  • « C’est quoi encore cette histoire de piment dans la sauce ?  m’écriai-je.
  • C’est la nouvelle chanson à la mode ! » me fut-il rétorqué dans la foulée

C’est à ce moment précis que mon destin bascula.

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J’entendis une voix de là-haut me disant : « Fils, c’est le tube ! »

  • Lequel Seigneur, dentifrice, mayonnaise, ketchup ?

Le Seigneur roula des yeux, et Il vit que c’était bon, mais me laissa à mon interrogation. En effet, il venait de voir qu’Ali prévoyait de voler les élections. Le sens de priorités.

Pour moi, tout s’arrêta là. J’avais d’autres sauces à fouetter. Il fallait bien que le peuple mange.

Et puis un beau jour, mon fouet élimé se cassa et je reçus la sauce dans les oreilles. Lourde, parfumée, et pleine de mystère.  Une chose dont j’ai été convaincu en entendant ta chanson, c’était de ma paternité. Oui, ma paternité. Pas que j’en doutasse spécialement (la perçance ! ), mais si mon petit estomac sur pâte, pardon sur pattes avait été marqué par la chanson c’est qu’il avait de bons goûts musicaux comme son père. C’est pas beau, ça ?

En vérité, de cette première vraie écoute je suis ressorti avec des interrogations. Remué dans les méninges comme le plat de haricot « couché » tord les boyaux, je m’en ouvris pet-être trop vite à toi. En témoigne, cet échange épistolaire en 140 caractères qui, aujourd’hui je dois te l’avouer, m’a laissé sur ma faim, un goût amère en bouche.

https://twitter.com/YannMoebius/status/765238053304754176

https://twitter.com/YannMoebius/status/765260942095548417

Qu’était donc cette fameuse « souuuauce » dont les hommes sont censés raffoler ?

En effet, quand tu affirmes

« Les hommes aiment les femmes avec beaucoup de sauce »,

j’ai envie de te contredire. Je suis actuellement au régime (les priorités, j’ai dit ), j’évite les sauces autant que je peux. On ne peut donc pas généraliser. Bref passons.

Du coup, quand tu lances la première strophe, tous poumons dehors je me dis : elle se rattrape bien. En fait, la chanson n’a rien à voir avec la diététique, écoutons sans modération. J’ai candidement pensé que tu parlais de relation de couple, de foyer  en référence à

« Ne mets pas ton doigt dans ma sauce hein
N’ajoute pas le sel dans ma sauce »

avec un soupçon de tobassi

« Ne prépare pas mon nom dans ta sauce
Voleuse de sauce, Gâteuse de sauce
Ne touche pas à ma sauce »

Et en as de la confusion, tu réussis à me dévier de cette première impression : en fait la sauce c’est la vie et ses problèmes. Je parviens à m’en convaincre quand je t’entends lancer

« La sauce qui pique à mort !
La sauce est chaud à mort ! »

En voilà une qui comprend nos difficultés quotidiennes à joindre les deux bouts, à manier la cravache et la carotte devant l’âne de nos finances. Ah Reniss, quelle fille pleine de sagesse et de compassion tu es !

Et puis, tel le beurre qui frémit dans la poêle, le doute vint napper le fond de bienveillance que je me pris à t’accorder. La vinaigrette a mal tourné à partir de ce que nos amis américains appellent le « bridge » (avouez que pont, ça a l’air un peu con posé là tout seul au milieu de nulle part) :

« Ça c’est la danse de la sauce (Ok !)
Lave les mains (Oui, normal !), tourne la langue (ah ouais, pourquoi pas ?), suce le doigt (si on est gourmet, oui ?)
Caresse le ventre (ça marche pour les gourmands), tourne les reins (pourquoi ? mais pourquoi ? On va tourner les reins pourquoi ?) »

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Ceci me ramena à la question du tout début : de quelle sauce parle-t-on exactement ?

Et enfin, ça m’arriva comme un kebab balancé en pleine poire : La sauce c’est donc … ! Noooooooon !!!

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C’est donc pour cela qu’elle dit « When soup don’t bole massa fufu no di pass » ! Traduction pour ceux qui ne sont pas camerounais intégrez-vous, je ne peux rien de plus pour vous: Quand il n’y a pas de sauce le pilon ne glisse pas. Tout est clair maintenant ?

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Merci d’éloigner les enfants, âmes sensibles, asthmatiques et autres asiatiques présidentiables (pardon, ne m’éPINGlez pas)

C’est à ce moment précis que je compris, restons dans les images culinaires, que tu étais une petite cochonne, chère Reniss. Je relançai la chanson le cœur battant tel le jus de tomate qui boue. Et j’eus un niveau de compréhension complètement différent.

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En vérité, Reniss ta chanson est exactement à l’image de la sauce de chez nous, pleine d’ingrédients divers et variés, aux goûts savoureux. Autant chacun y trouve ce qui l’intéresse, de même chacun entendra ta chanson selon son niveau d’interprétation personnel de ce qu’est la fameuse sauce.

Ce mystère enfin résolu, il en reste un dernier que je ne puis me résoudre à terminer cette missive sans évoquer, mon ami Aphtal ne me le pardonnerais sans doute pas :

Pour ma part, je tiens à t’informer que pendant que je t’écrivais, l’eau a bouilli, j’étais prêt à ajouter les condiments dans la sauce préparation mais suite au sentiment de méfiance et de trahison qui me saisit quand je contemplai carottes, concombres et piments posés sur la planche, je finis par renoncer.

https://twitter.com/YannMoebius/status/765238454372499456

Ce soir pas de sauce, une petite bouillie nous fera grand bien.

 

Savoureusement,

Yann.

Epilogue :

Je le disais plus haut, il revient à chacun d’entendre dans la chanson de Reniss, ce  que son niveau de compréhension lui permet. Mais qu’il me soit accordé de dire une chose : en dehors de toute considération sémantique, musicalement « Le Piment dans la sauce » c’est une bombe ! Mettez de côté la voix de la chanteuse qui pique à mort, c’est le lieu de le dire et prenez le temps d’écouter les basses, les percussions, toute la richesse des musiques d’Afrique Centrale vous vient instantanément à l’oreille. Je vous mets l’audio ici pour ceux qui n’auraient pas encore goûté à la sauce. La vidéo c’est pour les adultes, mais je vous connais vous saurez trouver le chemin tous seuls.

Ce texte a été écrit dans le cadre de l’Episode 3 de la Saison 3 de The Blog Contest.

Découvrez ci-dessous le « grimba » de la sauce de :

Arsène

Christian

Elie

Leyo

Obone

Le piment dans quelle sauce ?

La violence de couple: ce n’est pas écrit sur le front des gens. #TBCS4E2

Domestic Violence Photography
Source: http://www.seenthis.net

Décidément nous ne sommes pas gâtés par nos amis du forum du Blog Contest. Pour ce deuxième volet de la saison 4, le sujet choisi est roulement de tambours : la violence de couple. Mon esprit retord s’est contorsionné pour trouver une façon originale d’aborder le sujet. J’ai essayé l’humour et puis j’ai tôt fait de comprendre que si cela ne me faisait pas rire, cela ne ferait certainement rire personne, à raison.

Cela doit faire plus dix-huit mois maintenant, alors qu’avec un couple d’amis nous finissions un excellent repas à l’occasion des fêtes de fin d’année quand nous avons entendu cris et invectives. J’avoue que les relations de voisinage ce n’est pas mon fort. Je ne suis donc pas sorti voir ce qui se passait. Et pour être totalement franc, mes voisines ont tellement l’habitude de se crêper le chignon pour un oui ou un non, qu’une dispute de plus ne m’émouvait pas plus que cela. Ce n’est qu’en sortant raccompagner mes amis que je me suis rendu compte de l’ampleur des choses : un de mes voisins avait tiré la mère de ses enfants dehors et lui administrait une prodigieuse correction en pleine rue. La dame ne s’y est pas pliée en victime résignée, elle retournait les coups que son frêle physique lui permettait et mettait la gomme sur les injures. Scène surréaliste d’une violence qui se banalise.

Il y a encore quelques semaines ce thème ne m’aurait pas plus touché que cela. C’est en effet bien connu que tant qu’une réalité ne vous affecte pas vous ne l’appréhendez pas à sa juste mesure. Depuis, ma vision sur le sujet a beaucoup évolué, en grande partie parce qu’une amie extrêmement proche m’a raconté au détour d’un « Et puis Yann, tu sais il était d’une violence ! », ce que je n’aurais jamais soupçonné si je m’en étais tenu à son éternelle bonne humeur et son rire sonore. J’étais dans un premier temps tétanisé par la colère et la surprise qui ont tôt fait de laisser la place à une sorte de honte de n’avoir pas plus insister que cela lorsque ses « ça va » brefs venaient à la rencontre de mes « comment vas-tu ? ». Pour avoir vu son ancien compagnon à quelques reprises, je ne l’aurais jamais imaginé levant la main sur elle. Non, ce n’est pas écrit sur le front des gens.

D’abord, ce qu’il faut comprendre c’est que les violences dans les couples, le plus souvent dirigée contre la femme, se déroulent dans un huis-clos étouffant dont le silence est le saint gardien. Elle est souvent exercée par l’homme manipulateur qui enferme sa victime dans un cercle vicieux tissé de tensions surgissant de la cristallisation de la mauvaise humeur autour un sujet qui peut être banal, se poursuit inéluctablement par l’explosion violente et  brute, et se termine (et ce, de moins en moins à mesure que la violence se répète) par une phase de repentance/manipulation où il fait croire à la victime qu’elle est coupable de ce qui arrive. Et cette douloureuse réalité vous frôle au quotidien sans que vous ne vous en rendiez compte si je m’en tiens aux chiffres de l’OMS qui montrent que 41,6% des femmes en Afrique subsaharienne, et 65,5%  en Afrique centrale sont victimes de ces violences. Respectivement 4 et 7 femmes sur 10, vous vous rendez compte ?

Ensuite, quand on parle de violences conjugales, l’image qui nous vient en tête c’est directement le grand type musclé en sueur tabassant dans un accès de fureur sa compagne. Pourtant, cette terrible réalité peut embrasser des aspects plus subtils, plus perfides. Cette torture psychologique et verbale qui est exercée à coup de menaces, d’injures, de dénigrements sournois, de privations et qui aboutissement à l’assujettissement complet de la femme, la perte totale de sa confiance en soi, c’est de la violence aussi. Ce patriarcat qui offre tous les pouvoirs économiques à l’homme et oblige la femme à vivre à son crochet, l’accès extrêmement compliqué par les barrières traditionnelles, familiales, sociales, religieuses, politiques même à l’apprentissage, à un métier, à la propriété, c’est également de la violence d’une teneur parfois plus inouïe que les coups. On en parle si peu que les victimes ne prennent pas conscience de leur état. Et il n’est d’ailleurs pas rare de voir ces formes invisibles de violences se combiner et se greffer sur la violence physique

Et puis, vous l’aurez compris à la lecture de mon précédent billet que je suis un partisan de l’équilibre. Le thème stipule « violences de couple ». Je vais prendre un petit moment pour parler de ceux qui sont moqués par leurs congénères, vilipendés par les femmes : les hommes battus. Je ne suis pas parvenu à trouver de chiffres précis en ce qui concerne le continent africain, preuve du tabou et/ou du désintérêt qui entourent la question dans nos contrées. La société a tendance à considérer la violence exercée par des femmes sur des hommes comme une anomalie. Si exercer des violences contre une femme  a fini par passer dans le subconscient collectif comme une éventualité qui de temps à autre se fraye son chemin vers la réalité, voir un homme se faire battre oumalmener r par sa femme relève souvent de l’insolite et du sensationnel. Conscient du regard et des jugements, nombre de victimes se taisent, se terrent dans la honte et le déni. Il n’existe que trop peu de structures d’écoutes et de prise en charge des victimes masculines de violences conjugales (en comparaison des associations, structures, plans nationaux qui s’occupent des femmes dans le même cas)  et le chemin pour porter plainte est pavé de moqueries et de vexations. En France par exemple, là où 10 femmes sur 100 victimes de violences conjugales iront porter plainte, seuls 3 hommes sur 100 poseront le même acte. Ce n’est pas un juste retour des choses parce que d’où qu’elle vienne, la violence n’est pas acceptable.

Enfin, je vais conclure ce billet avec bout de la nuit des violences conjugales une lueur terne d’espoir. Il y a à peine une semaine, promenant ma chienne à un pâté de maisons de chez moi, j’ai été à nouveau témoin d’une scène absolument écœurante : un homme giflant à pleine main une femme qui n’était pas la sienne et qui portait son bébé dans ses bras. Elle est tombée et le bébé avec. N’écoutant pas les pleurs de son enfant, en se relevant elle a administré un coup de pied magistral dans l’entrejambe de son agresseur. Face à l’afflux des passants, l’homme a dû s’expliquer, justifiant son geste par le fait que la femme aurait corrigé son fils plus tôt dans l’après-midi. Je l’ai dit plus tôt la violence est injustifiable. Mais là où, je me suis abstenu d’intervenir c’est quand le toisant du regard, elle lui a répliqué : « Tu te sens fort, c’est pour cela que tu as levé la main sur moi, n’est-ce pas ? Je vais de ce pas au commissariat te ramener une convocation de police. Tu t’expliqueras avec des hommes qui sont aussi fort que toi ». Et depuis quelques années, même s’il y a encore des lacunes, la police togolaise ne passe plus sous silence ce genre de cas.

Nous connaissons tous ces femmes qui publiquement sont toujours en accord avec leur compagnon, portent toujours exactement le genre de tenues qui lui conviennent, sont totalement métamorphosées en présence de celui-ci, ces femmes qui même lorsqu’il fait extrêmement chaud, portent des tenues qui leur recouvrent intégralement le corps, ces femmes qui ne répliquent jamais à un dîner à leur mari qui fait des blagues franchement désagréables à leur égard, ces femmes qui portent des grandes lunettes même étant à  l’intérieur, ces femmes qui paniquent dès qu’elles voient le nom de leur compagnon s’afficher en appel entrant sur leur téléphone, ces copines qui s’empressent de rentrer après un SMS de leur chéri, ces amies qui disparaissent du jour au lendemain après s’être mises en couple avec un homme qui les isole de leur cercle d’amis. Ces femmes nous les côtoyons tous les jours. Je ne dis pas qu’elles sont forcément victimes parce qu’elles présentent un quelconque de ces signalements listés plus haut, mais si plusieurs de ces manifestations se produisent chez la même personne, POSONS LES BONNES QUESTIONS ET PRÊTONS L’OREILLE. Un drame se joue peut être sous nos yeux.

Pour finir, toutes les six heures, une Sud-Africaine meurt sous les coups de son compagnon. Chaque année, 47% des Kenyanes tuées le sont par un homme avec qui elles vivent. Une Marocaine sur deux est victime au quotidien de violences conjugales. [source]

Ce n’est pas écrit sur le front des gens.

A bientôt.

Yann.

PS : Je dédie ce post à celles que le silence ronge. A vous deux qui avez parlé.

Lisez les contributions sur le même thème de :

Arsène

Christian

Elie

Leyo

Obone

 

La violence de couple: ce n’est pas écrit sur le front des gens. #TBCS4E2

Le tobassi ou pourquoi je ne mange pas de poisson. #TBCS4E1

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Source: http://www.gea.com

Je voulais redonner du tonus à mon blog, je voulais de la motivation, je me suis donc inscrit au #TBC (The Blog Contest) il y a quelques semaines. Le défi consistant à écrire un article sur la base d’un thème proposé par les internautes du forum. Eh bien, pour le premier thème nous voilà  servis! Il s’agit du « tobassi »

Avez-vous déjà essayé de vous saisir d’une savonnette les doigts trempés à l’excès ?

C’est cet exercice hasardeux qui pousse les principales indexées à recourir à la pratique appelée « tobassi ». Évoquer les indexées n’est pas manquer de doigté, amis lecteurs tant la pratique est largement liée à la gente féminine sous nos cieux ensoleillés d’Afrique. Si tout comme moi vous n’êtes pas camerounais, alors le terme chantant de « tobassi » ne vous évoquera sûrement rien. La colonisation et la mainmise dont le #TBC est l’objet de la part de nos collègues blogueurs camerounais sera le sujet d’un prochain billet si Dieu me prête vie. Ekie !

Phénomène sociologique que les mauvaises langues disent répandu en Afrique subsaharienne, le  « tobassi » est une pratique d’envoûtement opérée par une femme (la plupart du temps) sur son compagnon, ou le prince charmant ciblé ayant pour but de soumettre ce dernier à son bon vouloir, le rendre docile, l’ »attacher » sentimentalement au propre comme au figuré. Ah je vois que le terme commence à vous parler. Quelqu’un va mourir moins bête ce soir… Amen !

 

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Connu sous divers vocables tous aussi poétiques les uns que les autres à travers l’Afrique, le phénomène est désigné au Bénin et au Togo par le terme de « Gbotemi », littéralement « écoute pour moi » dans le sens de « écoute ma voix, fais ce que je veux ». Non, je ne me balade pas avec un dico fon – français sur moi en permanence, merci. Un petit résumé de certains noms utilisés ici :

Ne croyant personnellement en ce genre de pratiques, j’ai dû me documenter un peu en parcourant le net afin de rédiger ce billet. La pêche a été plutôt bonne. Vous comprendrez dans la suite pourquoi je m’exprime en termes halieutiques. Au Cameroun d’où le terme vient et où il signifie « assieds-toi là », une des techniques les plus répandues consisterait à farcir la tête d’un poisson particulier appelé le kanga reconnu charnu, goûtu avec une préparation à base d’herbes dont je me réserve de diffuser les détails. Au risque de me répéter, oui c’est déjà le cas, je sais, je ne crois pas à ces choses mais je ne manquerai jamais de respect aux anciens. Qui est fou ? I mean, farcir la tête d’un poisson, quelle belle allégorie du bourrage de crâne ! J’ai eu aussi vent de techniques impliquant des lavages intimes, ou des poils pubiens ou de lion (les deux pouvant être la même chose), pour la confection de la farce.  « Allons seulement »… A peine la couleuvre pardon, la tête avalée que le pauvre gus se retrouve ferré comme… un poisson. Vous êtes étonnés par le sens de la répartie des génies de la forêt camerounaise, moi plus maintenant…

Une étude pratiquée par mes soins auprès d’un large échantillon de trois personnes on a les moyens qu’on peut m’a permis de dégager quelques raisons qui peuvent pousser une femme à recourir à de tels stratagèmes. La première, la plus évidente, celle qui va m’allier le soutien de toute la gente féminine et me jeter en pâture comme une tête de poisson à mes congénères bipèdes à trois pattes allez-y comprendre quelque chose c’est que de notoriété publique et depuis la nuit des temps « l’homme n’est pas fidèle ». Can I get a « Amen », my soul sisters ?

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En même temps, vu que mon échantillon était composé exclusivement de femmes, une telle réponse vous étonne ? Du fait donc l’infidélité des hommes d’après mon échantillon, certaines femmes ont recours à cette camisole de force mystique pour les garder à la maison. C’est radical mais paraît-il, ça marche! Enfin, un certain temps avant que le pauvre bonhomme ne se mette à ramper pathétiquement aux pieds de sa « vénérée maîtresse » (sa femme quoi, enfin vous m’avez compris).

Dans la même veine, et dans une ambiance concurrentielle accrue entre coépouses dans un foyer polygamique, le « tobassi » assure à la grande prêtresse, pas maîtresse, le statut tant convoité de favorite du monsieur qui a eu le malheur non seulement de laisser traîner ses yeux au deyor mais d’oser ramener des colitières celles qui partagent le lit, quoi à sa première épouse au sein du foyer. En général quand le gbass marche, toutes les autres ne voient plus le monsieur le soir, du coup elles retournent chacune chez son marabout pour procéder à un envoûtement qui pour être efficace doit surpasser, supplanter celui de la favorite. On se retrouve donc avec le pauvre mari multi-tobassié, le visage hématié, le corps anémié à force de satisfaire les désideratas nocturnes des unes et des autres. « Vous n’avez pas dit vous peut ? Voilà ça maintenant ! » criera-t-on dans les rues d’Abidjan.

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Source: http://www.euronews.com

La plus injuste des raisons, quoiqu’il n’y ait pas de justice en ce bas-monde,  me semble être la troisième. Tu plais à la « nga », elle aussi te plaît, vous commencez un bout de chemin ensemble, tu te dis comme dans la chanson de Josey que tu vas « étudier son comportement » un certain temps. Mais la sournoise a déjà son plan ! Étudiée sous toutes les coutures, multi-« blessée de guerre » comme on dit chez moi, elle n’a plus le temps de ton amusement! Pour te mettre définitivement le grappin dessus, elle va recourir au « tobassi ». Un petit repas concocté par ses soins, la mixture savamment distillée dedans et te voilà la bague au doigt, diplômé devant Dieu et devant les hommes. A qui la faute ? La pression sociale exercée sur les femmes à propos du mariage dans nos contrées? Les précédents examinateurs qui ont rejeté son dossier ? Ou toi qui l’étudie depuis plusieurs années sans te décider ?

Il y a derrière ce recours ultime au « tobassi » une foultitude de raisons aussi bien sentimentales que financières. Ne nous mentons pas, ce n’est pas un pauvre employé comme moi qu’on va cibler ! Plus le gus est « valable » plus la « nga » va dépenser chez le marabout pour l’attacher.

Dans mes lectures, ce seront sans doute les conséquences tragi-comiques qui me seront restées. J’ai le souvenir notamment de ce cas extrême où cette femme est devenue veuve deux ans après avoir recouru à cet artifice mystique sur son mari qui a eu pour effet secondaire de le rendre addict au sexe, décédé de fatigue physique, le bougre! Ou encore de ce mari déshumanisé qui suivait sa femme partout en répétant sans cesse « Oui, Madame ». A n’en pas douter, la pratique n’est pas sans conséquence sur le corps et le mental de ces messieurs.

Une chose me paraît cependant amusante dans tout ceci, c’est que les adeptes partent avec le postulat soit qu’elles aiment l’homme en question et ne souhaitent pas le partager, ou qu’elles sont prêtes à lier leur destin indéfiniment au sien. J’ai entendu parler de photos clouées sur des arbres dans la forêt équatoriale ou de cadenas jetés dans les flots. Que se passe-t-il le jour où elles tombent éperdument amoureuses d’un autre homme et que voulant convoler avec le cher et tendre, le compagnon marabouté, artificiellement attaché à la dame refuse de la laisser partir ? Dans l’impossibilité de retrouver l’arbre en question ou de récupérer le cadenas englouti par les eaux afin de libérer le pauvre diable, laisseront-elles passer la chance de leur vie ou prendront-elles l’option de la polyandrie ?  A new drama is coming…

 

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Pour finir ce billet et rétablir un peu l’équilibre, je me dois de dire qu’il existe notamment au Sénégal une pratique similaire au « tobassi » employée cette fois-ci par les hommes et qui consiste à endormir leurs épouses à coup de talismans renouvelables ou de fétiches portatifs, soit par jalousie, soit pour qu’elle ne fasse pas de scandale lorsqu’il prendra une nouvelle coépouse. Voilà, mesdames vous pouvez souffler, je vous avais dit que je ne manquerais pas de doigté.

Le tableau a l’air bien sombre, et pourtant tous les couples unis qui s’aiment en Afrique ne sont pas forcément liés par des forces occultes. L’amour est accessible, encore faut-il que les partenaires aient suffisamment confiance en eux-mêmes et aient le réflexe de recourir à la communication plutôt qu’aux officines des marabouts pour régler leurs problèmes.

Parlant de problèmes, je connais un bon moyen d’éviter le « tobassi », faites comme moi mangez de la viande. Le poisson, ça craint !

 

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Vous pouvez retrouver les billets de mes collègues ci-dessous :

Arsène

Obone

Christian

Leyo

Elie 

Le tobassi ou pourquoi je ne mange pas de poisson. #TBCS4E1

#JeSuis2015

 

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(Source:www.golfmatchapp.com)

Alors qu’un crépuscule terne monte dans le ciel de 2015, je me retourne et vois le chemin parcouru.

Cette année, plus que les précédentes, tout le monde aura été quelque chose, un concept, une idée. Tout le monde aura porté une philosophie, en quête d’une identité. Qui a dit que notre civilisation s’était assise sur ses valeurs ? Relayés par les médias mainstream, portés à bout de bras par les réseaux sociaux, 2015 aura vu nos fils d’actualité noyés sous des slogans et revendications des plus pertinents au plus farfelus.Si le soleil des flux médiatiques a éclairé, parfois plus intensément que de raison, certains sujets, une foule d’autres sont restés invariablement dans l’ombre. Sujets peu vendeurs, pas assez glamour, jamais rentables, pas orientés géopolitiquement comme il faut, ils n’auront pas trouvé leur chemin jusqu’au cœur du grand public. Ou éphémères effets de mode, ils auront tôt fait de disparaître de notre mémoire collective, sélective. Je suis chacun de ces oubliés.

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Attends, tu as dit que tu étais qui déjà ?

Tel le bourdonnement de votre frigo, vous m’entendez mais vous ne m’écoutez pas. Bruit de fond rassurant du quotidien, on me traite rapidement et sans grand détail. Ça ne se fait pas de dégoûter le bon peuple pendant son dîner devant la grand messe du 20H. Je suis lui, mourant de faim dans un camp de réfugié. Je suis elle, violée alors qu’elle prenait la fuite face aux rebelles qui avançaient. Je suis le produit de ce commerce encore légal de vos armes de guerre, je suis le prix de votre sécurité et de votre confort. Je suis victime d’une guerre invisible, inaudible, indolore pour vous.

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(Source: http://www.lecongolais.cd)

C’est vite dit, cela sort comme une réflexion amusante. Et puis, on voit le sourire gêné des personnes autour. C’était censé être drôle… et puis plus personne n’a ri. Ce moment précis où la bêtise humaine dans toute sa splendeur se fait jour, quand les idées refoulées se fraient un chemin jusqu’à la bouche. On a peur, on ne connaît pas assez l’autre, ce qu’il défend, ses traditions. Un amalgame vient d’être formulé, un racisme ordinaire, banal s’est exprimé. « Quand y’en a un ça va, c’est quand ils sont nombreux qu’il y a un problème » disait l’autre. Je suis celui qui le reçoit en pleine face tel un crachat, je suis celle qui ne rentre pas dans vos canons de beauté, je suis cet enfant qui ne trouve pas de modèle dans une société qui veut en faire un citoyen de seconde zone, une beauté « exotique ». Je suis victime de ce racisme policé qui choisit ses mots, de cette xénophobie bleue marine qui oublie que le même sang rouge coule dans tous les veines.

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N’est-ce pas, ma Didine ? (Source: olivierganan.wordpress.com)

Cette fois-ci c’était la bonne. Nous nous sommes alignés au soleil, cherchant fiévreusement nos noms sur la liste. Nous avons assisté pleins d’espoir aux dépouillements et puis le train de la démocratie a annulé son arrêt à notre gare.

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La communauté internationale, Charlie de son Etat, a applaudi ceux qui ont marché à Paris et qui répriment dans le sang l’opposition chez eux. Je suis le peuple à qui on a promis l’autodétermination et à la tête duquel on maintient contre son gré des potentats, monarques républicains, héritiers du trône national. Je suis tous ces peuples à qui on fait croire la démocratie n’est pas utile pour tous. Je suis le bulletin de vote orphelin de sa vérité.

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(Source: http://www.renauddossavi.mondoblog.org)

Je suis le chiffre de la résignation. #BringBackOurGirls. 623 jours que les 219 jeunes filles de Chibok sont retenues prisonnières par Boko Haram. Je suis le voile dont leur tête est couverte et qui empêche les gendarmes du monde de se bouger pour les retrouver. Parce que 219 têtes voilées n’auront jamais dans notre monde autant de valeur que 219 têtes blondes, je suis le silence qui entoure la destinée de ces jeunes filles. Je suis chacun des cheveux noirs, crépus qui sont sur leur tête et dont leurs parents attendent le retour. Je suis leur désespoir et leur impatience de reprendre une vie normale.

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(Source: http://www.gallerianews.com)

Des mots griffonnés, une différence clamée, la persécution, la prison. Je suis la plume trempée dans la détermination, enfoncée dans cette liberté inébranlable, cette aspiration supérieure à la vérité. Je suis ce son de cloche qui retentit mal aux oreilles des puissants et qui trouble leur repos. Je suis le caillou dans la chaussure des corrompus, la mouche qui se pose sur le chardonnay de ceux qui vont contre la volonté du peuple. Je suis tous les blogueurs qui sont pourchassés, persécutés, emprisonnés pour avoir donné leur opinion. Je suis leur dos meurtri qui reçoit les coups de fouets et leurs côtes qui se brisent sous les coups de bottes. Je suis leurs écrits qui éclairent, leurs caricatures qui exaspèrent. Je suis la protection qu’ils n’ont pas, je suis leur volonté indéfectible de rendre témoignage.

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Si vous pensiez encore que bloguer était sans risque, voici le dos de Raif Badawi, blogueur saoudien condamné à 1000 coups de fouet. (Source: http://www.kabyle.com)

Mon énergie du désespoir se trouve dans les vagues qui dévorent les côtes. Ma colère est dans le typhon. Mon agacement gronde dans le mercure qui monte. Je suis votre planète qui a le vertige. Je suis la Terre, votre habitat commun que vous détruisez, les écosystèmes que vous fragilisez. Je suis cette planète qui a la fièvre et qu’aucun de vos traitements cosmétiques ne parvient à apaiser. Je suis votre logeuse qui risque de vous mettre dehors. Je suis votre mère qui se meurt pendant que vous hésitez encore à arrêter la surexploitation des ressources dont je vous ai fait gardiens.

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Vu comme ça, ça l’air tout de suite plus concret non, le réchauffement climatique ? (Source: Skyrock.com)

 

Nous, nous sommes comme Dieu : les gens savent que nous existons mais cela fait longtemps que plus personne ne nous a vues. Nous sommes les fondements de la société harmonieuse que vous voulez bâtir. Je suis chacune des valeurs humaines qui s’évanouissent dans l’inconscient collectif. Je suis le respect, la fraternité. Je suis la justice, le travail, la tolérance. Je suis ces valeurs qui se brisent sur les boucliers d’égoïsme, de cupidité, de discrimination que vous vous êtes forgés. Je suis le sang des victimes qui vous demande des comptes : où est donc passée votre humanité ? Je suis la larme qui tombe sur le cœur qui se ferme. Je suis le rêve des pères fondateurs, je suis les aspirations des peuples, je suis la revendication de la foule en colère.

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http://www.memegen.com

En 2015, chacun aura cherché qui il est. Chacun aura, à défaut de se trouver soi-même, trouvé qui il n’est pas. Chacun aura porté ses idéaux en bandoulière et monté ses valeurs en épingle. Et c’est très bien ainsi : un monde qui dialogue et échange sur ce qui est et ce qui n’est pas. Puissent les petits combats légitimes de chacun apporter de grandes victoires à notre humanité toute entière.

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C’est pas très Charlie de le dire mais bon on en fin d’année, il y a prescription ! (Source: http://www.agoravox.fr)

Quant à moi, je suis petit, togolais, libre et fier, perché sur mon caillou, scrutant l’humanité qui se meut, oublieux d’une actualité qui va désormais trop vite et qui aura omis de parler de nombreuses causes de l’ombre dans ce billet. Je suis chacune de mes victoires en 2015, chacune de mes contradictions. Je suis chacune de mes larmes de dépit, chacun de mes cris de joie. Je suis l’ombre et la lumière, le silence qui parle et la parole qui tait. Je me suis arrêté pour contempler le chemin derrière. Je regarde de nouveau vers l’avant. Et je reprends ma route.

Rendez-vous en 2016.

#JeSuis2015

Togolais, souviens-toi !

Source: http://www.clipartbest.com
Source: http://www.clipartbest.com

Togolais, Togolaise,

Pendant cinq ans, pendant dix ans, tu as observé entre réserve, indignation, indifférence, colère et incompréhension ce qu’il advient de ce pays, de notre pays, la terre de nos ancêtres. Ces années durant, tu as assisté impuissant à l’émergence de cette minorité vorace de courtisans assise sur le bien-être de tous. Tu as les tempes en feu quand tu découvres les injustices qui s’accumulent et les affronts qu’on fait à notre démocratie si fragile.

Toi et moi, nous n’avons pas voix au chapitre. Nous sommes la majorité silencieuse, celle que personne ne consulte, celle que personne n’associe. Nous sommes le peuple ! Et même si le ciel de nos ambitions est constamment gris, il existe un moment, cet instant où nous avons le pouvoir, le doigt sur le bouton. Il y a dans cette grisaille ce rayon de soleil, cette éclaircie qui nous appartient. Il y a dans l’orage des déceptions et de la colère, cet arc-en-ciel qui se pare de ces délicieuses couleurs de  puissance et de jouissance. Et tends l’oreille mon frère, ma sœur, ce moment vient !

Bien sûr, tu te verras présenter les belles infrastructures, les routes magnifiques qui se fissurent déjà et où tu n’as pas l’argent pour te payer une motocyclette et rouler dessus à toute vitesse. On te parlera en hyperboles de ces merveilleuses bâtisses dont le palais flambant neuf du Fils de la Nation, qui prend déjà l’eau alors qu’on vient de t’expulser toi, de ton logement désuet parce que tu n’avais pas de quoi payer. On te promettra que le lait et le miel couleront dans un futur incertain, alors que tu ne sais pas ce que ta famille et toi mangerez demain. Oui, on te dira qu’il y a du progrès et qu’on a fait des réformes économiques. Ton pays a progressé dans de prestigieux classements pour le climat des affaires apparemment serein, mais toi tu n’as toujours pas réussi à passer de la même étale que tu occupes le soir dans un coin sombre depuis des lustres à une belle boutique garnie de victuailles à vendre. Oui Togolais(e) on te vendra la merveilleuse idée que tu peux démarrer une entreprise avec un fonds qui équivaut à 1.000 F par jour et que zémidjan c’est un métier dans lequel tu peux décemment faire carrière, deviens donc entrepreneur. Tu paieras ainsi des impôts qui pourront se perdre dans des valises interceptées à l’aéroport de Roissy à Paris, ou emportées par des chauffeurs se sont rêvés en convoyeurs de fonds.

A présent tu te tiens dans la queue, sous le soleil. L’attente t’exaspère. Tu veux, tu vas voter. Alors que tu tiens ta carte dans la main, je veux que tu te souviennes. Mon frère, ma sœur, souviens-toi ! Togolais(e) rappelle-toi !

Rappelle-toi que le coût de ses infrastructures c’est un millier de milliards de nos francs CFA. Tu n’es pas sûr d’avoir bien lu ? Relis : Un millier de milliards. Tu es, comme moi endetté envers des bailleurs qui n’en ont rien à faire si tu profites de ces infrastructures ou pas. Que tu sois en mesure de les utiliser ou pas, tu paieras, et tes enfants paieront aussi. Je me questionne de savoir comment nos enfants paieront ces emprunts en leur nom s’ils ne font pas des études qui leur permettent d’accéder dans ce pays à des postes à haute valeur ajoutée et à rémunération conséquente.

Car, tu ne dois pas oublier que les enseignants de nos enfants sont dans une situation catastrophique et qu’à l’heure où je t’écris les écoles sont fermées pendant que les enfants de ceux qui nous dirigent vont dans les grandes écoles de Lomé pour une minorité, et dans leur majeure partie sont scolarisés dans des écoles et universités en occident où les professeurs sont payés convenablement, du moins mieux payés que ceux de chez nous. Tes enfants à toi sont livrés à eux-mêmes chaque jour que Dieu fait, pendant que tu t’évertues à ramener du pain sur ta table. Il en va de même pour nos hôpitaux dont l’état est en délabrement si avancé que tu pries tous les jours le ciel pour ne pas tomber malade parce qu’entre deux grèves, le manque d’équipement et de produits pharmaceutiques peut te faire décéder rapidement d’une simple migraine. Même eux, ils en ont peur c’est pour ça qu’ils font soigner leurs moindres crampes d’estomac dans les grands hôpitaux parisiens.

Fille, fils de mon pays n’oublie pas ! N’oublie pas que sur cette terre où tu vis comme un(e) reclus(e) les marchés de Kara puis de Lomé, centres économiques par excellence se sont évaporés en flammes dans un scénario étrangement similaire et que jusqu’au jour d’aujourd’hui personne n’est pas capable de nous dire qui a les moyens de se procurer du kérosène et la logistique pour mener une telle opération commando. Souviens-toi aussi d’Etienne Yakanou qu’on a emprisonné dans des circonstances absolument illégales et à qui on a refusé des soins jusqu’à ce que mort s’en suive derrière les barreaux. Personne n’a été puni pour cette grave injustice. Dans ce pays tu sais que si tu n’as pas d’argent, il vaut mieux que tu n’aies pas affaire à la justice de ces juges bedonnants plus préoccupés de combien tu donnes que de dire le droit.

Alors que tu t’agites dans la file mon frère, ma sœur, souviens-toi qu’on clame que le pays avance mais que la grille de la fonction publique n’a pas été révisée depuis le début des années 1960 et que ton cousin fonctionnaire gagne hors gratifications malingres et primes chétives la même chose que son père il y a un demi-siècle. Rappelle-toi que dans ce pays nous faire taire est la seule forme de citoyenneté que nos dirigeants apprécient ; parce que si tu oses élever un mot plus haut que l’autre, tu es forcément un brigand, un terroriste. Demande aux gens de la STT avec lesquels le gouvernement négocie tout en les traitant de trouble-fêtes. Ta liberté d’association et ta liberté syndicale, ils se sont assis dessus depuis belle lurette.

Pendant que le sable chaud manque de faire fondre tes sandales, les mêmes que tu portes depuis des années, arrête tes récriminations et aie une pensée pour eux, pour ces deux enfants de Dapaong : Anselme Sinadare et Douti Sinalengue, froidement abattus par les forces qui sont censées maintenir l’ordre et qui tirent sur nos enfants dont le seul tort est de vouloir que leurs professeurs soient dans les classes au lieu d’être dans la rue à battre le pavé. Tu les connais ces forces de l’ordre, ce sont les mêmes qui sont rentrées dans ta concession pour rouer de coups le vieillard qui vivait dans la chambre voisine à la tienne. Ce sont elles qui t’ont obligé(e) à écrire sur le mur de ta maison, en gros caractères « Déjà frappé » en 2005.

Togolais, Togolaise, enfin tu es à la porte de la salle de classe où tu vas voter. Tu sais pourquoi ton cœur comme le mien se serre, pourquoi malgré ta ferveur tu es dépité. Tu ignores si ton vote servira à quelque chose, s’il sera au moins comptabilisé correctement. Souviens-toi de comment on en est arrivé là, comment dix ans après, celui qui a déjà eu deux mandats est encore présent sur ton bulletin de vote. Rappelle-toi de toutes ces ruses avec lesquelles il a sans cesse repoussé la question des réformes institutionnelles et constitutionnelles. Souviens que depuis la signature de l’Accord Politique Global, pratiquement rien n’a changé et pose-toi la question de savoir si quelqu’un qui a menti pendant une décennie peut dire la vérité quant à ses promesses de campagne. Il t’a fait miroiter ces fameuses réformes et les a même introduites à l’Assemblée Nationale que son parti contrôle pour bien te narguer. Et puis…rien ! Courage, fuyons !

Digne fille, digne fils de mon beau pays, le moment est venu et pendant les quelques secondes qui viennent, peu importe ce qu’on t’a dit, peu importe ce que tu as reçu, peu importe d’où tu viens, peu importe qui t’attend là dehors, TU AS LE POUVOIR ! Tu ne l’auras que ce moment-là, pour cet instant-là. Tu tiens au bout de ton doigt trempé dans cette encre ces réformes, cette justice, cette alternance, cette prospérité, cette liberté après lesquelles tu soupires chaque jour. Tu touches du doigt l’avenir que tu veux dessiner pour toi et pour tes enfants. Tu entrouvres la page de ce Togo uni, juste et prospère dans lequel on peut devenir quelqu’un sans être le fils de personne. Tu as aujourd’hui, maintenant, la possibilité de dire non à la gestion calamiteuse des deniers publics, non au pilotage hasardeux du destin de la nation, non au népotisme et à la République des copines et des profiteurs, non à la corruption généralisée, non à l’administration des fautes sans conséquences, non au Togo qui appartient plus à certains qu’à toi, non à un troisième puis quatrième puis cinquième mandat.

Ici, maintenant tu tiens la première brique de la construction d’un Togo nouveau qui te reconnaît comme citoyen à part entière, un Togo où tu as le droit de prospérer et d’élever des enfants épanouis. Tu peux dire de tout ton cœur oui à l’alternance, parce que ce Togo nouveau dont nous rêvons tous, tu peux le bâtir de tes mains.

Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? La nuit est longue, mais le jour vient. L’aurore de ce jour nouveau est au bout de ton doigt. A toi de déchirer le voile d’obscurité.

Parce que 48 ans, CA SUFFIT !

Togolais, souviens-toi !

Entre Ciel et Terre

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Source: scottfillmer.files.wordpress.com

Entre ciel et terre, il y a un jeune homme qui pleure. Entre ciel et terre, il y a ce jeune homme couvert de sang qui agonise. Entre ciel et terre, il y a cet espoir qui meurt. Entre ciel et terre, aujourd’hui c’est le vendredi saint et je n’ai pas fait de cauchemar.

D’habitude dans la nuit du jeudi au vendredi saint, je dors mal et très peu en général. Il m’est arrivé il y a une vingtaine d’années alors que je n’étais encore qu’un enfant de me rêver à la table de la Cène avec le Christ et ses apôtres, de ressentir physiquement cette tension, ce silence lourd qui a dû régner ce soir-là pendant ce repas. Plus récemment, j’ai vu en rêve au cours d’une de ces fameuses nuits, un bras sur le bois, le clou et le marteau. Je vous passe le détail… Invariablement, ces nuits-là je me réveille en sueur, complètement terrifié et j’ai du mal à retrouver le sommeil.

Mais chose paradoxale, j’ai toujours vu ces nuits de terreur comme une preuve que ma foi était vivante, vivace même. Et les jeudis saints comme cette année où je ne rêve pas, je suis toujours dans ce mélange de déception et de confusion m’interrogeant constamment sur pourquoi je n’ai rien vu.

Cette nuit, je n’ai pas rêvé mais je me suis réveillé au milieu de la nuit, et j’ai réfléchi…

J’ai réfléchi à ce que cela pouvait signifier pour moi, pour les autres, d’être chrétien, de faire le point sur ma foi, sur le message du Christ et comment nous le vivons au quotidien.

Il me vient à l’esprit cette phrase que j’ai dû dire, il y a quelques années en la même occasion : « L’histoire de notre salut n’est pas une histoire de gloire et de prince assis sur un cheval blanc dans son armure impeccable. L’histoire de notre salut est une histoire de sang et de sueur. » Et l’appropriation à divers degrés par toutes les communautés chrétiennes de la Croix, cet objet de honte et de déchéance, comme signe de ralliement en est la manifestation la plus flagrante.

Nous avons été sauvés dans le sang, et aujourd’hui nous ne voulons plus ni transpirer ni même  pleurer. Nous n’avons plus la patience, ni le courage d’attendre que notre destin se réalise. La vie va vite, Dieu doit aller vite. Sinon, nous Lui posons des ultimatums, je m’en suis personnellement rendu coupable et je le regrette. Cette chrétienté du résultat immédiat et du miracle quasi permanent m’inquiète aujourd’hui…

Au premier siècle, il était bien moins facile de s’affirmer chrétien que de porter des croix gothiques de nos jours. Les martyrs se sont comptés par milliers et dans des conditions tellement atroces que j’ai froid dans le dos rien qu’en y pensant. Alors comment cette « secte » marginale à ses débuts, est-elle devenue aujourd’hui cette immonde donneuse de leçons, si prompte à pointer du doigt et à condamner ?

Je prends constamment mes distances avec cette chrétienté qui  condamne constamment le péché et les pécheurs sans leur rappeler que Dieu est amour et miséricorde. Je regarde toujours du coin de l’œil entre amusement désespéré et agacement contenu ces chrétiens qui s’empressent de pointer du doigt l’Islam d’aujourd’hui en disant : « Voyez, ces gens la violence est dans leur cœur, ce sont des barbares !» oubliant ou se taisant (c’est selon !) sur les effroyables massacres qui ont eu lieu contre les musulmans au Moyen-Age. Je les vois, je les entends justifier l’injustifiable : «C’est vrai ce que tu dis, mais bon on n’est plus au Moyen-Age !» Je l’écris, et je vais sans doute me faire des ennemis pour l’avoir dit, mais je suis toujours scandalisé d’entendre les positions extrêmes de certains chrétiens sur l’homosexualité. Ma réponse est invariable : « Dieu aime tous ses enfants du même Amour. Ne jugez point et vous ne serez point jugés. » Nous avons été marginaux, il est important de ne pas marginaliser, stigmatiser, exclure.

A mon avis le message de la Croix transcende les différences. Quand je vois ce Christ sur sa croix, je me dis, quel bel exemple, quel beau modèle d’amour nous avons sous les yeux. Les bras étendus à la verticale sont le symbole de l’amour qui doit régner entre les Hommes de toutes conditions, de toutes origines, le symbole de l’égalité avec laquelle Dieu nous a créés. Ce corps meurtri les pieds vers le sol, la tête vers le ciel illustre si bien la relation que nous avons Dieu : nous sommes des êtres humains vivants dans le péché de la Terre et ce vers quoi nous tendons c’est la perfection de l’Amour de Dieu. Dans tous les cas la croix reflète une chose, à la verticale comme à l’horizontale c’est l’Amour.

Le Vendredi Saint un jeune charpentier de Nazareth est devenu l’Homme le plus célèbre de toute l’Histoire grâce au sacrifice ultime. Et ce que j’en retiens c’est le sacrifice induit par l’Amour.

Entre ciel et terre, il y a, suspendu au bois de la croix, Jésus. Et il te regarde. Vois dans ses yeux la question : « Qu’as-tu fait de ta chrétienté ? »

Entre Ciel et Terre

Ghost Stories: un voyage poétique

Source: http://festivalxdentro.com/core/wp-content/uploads/2014/03/coldplay2.jpg
Source: http://festivalxdentro.com/core/wp-content/uploads/2014/03/coldplay2.jpg

Hello!!! La bonne humeur est mon ombre en ce Lundi 19 Mai 2014. J’avais annoncé la couleur ce matin sur mon compte Twitter:

 

 C’est un jour spécial pour moi et quelques milliers d’autres personnes. Coldplay is back!

Je suis fan de Coldplay

depuis quelques années et à bien des égards ma « rencontre » avec la musique de ce groupe a changé le cours de ma vie. Non, non, là je n’exagère pas du tout! Avec le précédent album « Mylo Xyloto » sur lequel on pouvait retrouver des chansons comme:

– Paradise
– Charlie Brown (vous savez maintenant pourquoi mon chat s’appelle Charlie Brown)
– ou Princess of China avec Rihanna,

personnellement je suis resté un peu sur ma faim. Une petite déception parce que comme beaucoup de fans je n’avais pas compris le parti pris de faire un album expérimental avec une musique qui l’était tout autant. Mais si j’ai moins d’affection pour cet album sorti le 24 Octobre 2011 jour de mon anniversaire (oh le cadeau!!) que les autres c’est aussi et surtout parce qu’il était très lié à un drame personnel que j’ai vécu quelques semaines après. Les chansons comme « Up with birds » ou « Paradise » m’ont accompagnées durant cette période et quand elle est passée j’ai décidé qu’elles devaient rester enfouies dans ce passé amer.

Ce pourquoi j’attendais Ghost Stories (c’est le nom du nouvel album juste au cas où…), c’est que durant ces 3 années d’attente, ma vie a beaucoup changé, j’ai fait de nouvelles rencontres musicales, j’ai fait des infidélités à Coldplay. J’ai écouté et adoré The Script, Passenger, Bastille, etc. J’ai été très infidèle, je l’avoue! En 3 ans, j’ai eu le temps de prénommer un petit garçon « Christopher » comme Chris Martin. Et ce soir, j’ai fait ce que j’ai toujours rêvé secrètement de faire avec lui.

Nous nous sommes installés dans le noir, et je l’ai mis contre moi …et nous avons écouté Ghost Stories.

Cela a été un moment tout simplement magique! Tendres caresses, regards et sourires échangés.

L’album démarre par une jolie balade : « Always in my head ». Les premières notes qu’on entend de Ghost Stories proviennent de voix lyriques qui émettent une sonorité évanescente et vacillante. Puis vient le moment que tout le monde attend: « Magic » qui est sorti en single il y a quelques semaines et que mon fiston adore. Le clip années 20-30 est un plaisir pour les yeux. Cette chanson c’est du pur Coldplay sans en être. C’est une magnifique surprise et cette guitare basse qui en est presque obsédante est un pur régal pour les oreilles. La voix de Chris monte, descend et prend des détours surprenants… Bref j’adore!

La première chanson que je ne connaissais pas c’est « Ink », les deux premières étant déjà disponibles en écoute sur différentes plateformes. Je ne le cache pas c’est probablement mon coup de coeur. Je dis probablement parce que s’agissant de Coldplay je ne suis jamais raisonnable. Des notes fraîches posées comme des gouttes de pluie qui tomberaient sur les cordes d’une guitare commencent cette chanson punchie avec un joli rythme mais qui raconte une histoire douloureuse. La presse avait annoncé qu’on aurait dans Ghost Stories au moins une chanson abordant de la rupture de Chris et Gwyneth Paltrow intervenue récemment. C’est une façon belle et pudique de raconter l’épreuve, je trouve. Je suis conquis.

Je recommande pour finir « A Sky full stars » pour bouger en rythme, d’ailleurs TF1 ne s’y est pas trompé. Cette chanson a été choisi pour son clip de présentation de la Coupe du Monde.

Je vous passe l’examen complet de la tracklist qui comporte 9 chansons pour la version de base 12 pour la version Deluxe. C’est peu. Les gars, vous auriez pu en faire un peu plus non?

Retenez juste ceci: c’est du Coldplay! Personnellement je reconnais mon groupe de coeur. Les sonorités sont travaillées, l’intensité y est, ça correspond à diverses émotions par lesquelles on peut tous passer dans sa vie privée. Ghost Stories vous accompagne sans prétention, vous intrigue puis vous ramène à l’essentiel:

La musique c’est la vie!

Ghost Stories: un voyage poétique

« Il s’est levé »…et il ne revint pas

Si vous êtes Togolais(e) et que vous avez connu le malheur d’avoir eu besoin d’un document administratif alors vous avez déjà entendu la fameuse phrase « Il/elle s’est levé ». Décryptage pour celles et ceux qui n’ont jamais été confrontés à la situation.

 

Les fonctionnaires, tout mal payés qu’ils sont, ont trouvé diverses combines et astuces pour arrondir leurs fins de mois. Parmi celles-ci, il y a ce qu’on appelle par ici « les petits business ». Pour les accomplir, ces business, ils sont souvent obligés de s’absenter de leur poste pendant des périodes plus ou moins longues (plus que moins d’ailleurs!) Pour prouver leur présence sur leur lieu de travail (il faut bien justifier son salaire de misère), ils ont la malicieuse idée de venir le matin, poser leur veste ou tout autre objectif significatif leur appartenant et disparaissent, parfois pour toute la matinée. Quand un usager des services publics ou le chef de service à plus forte raison a le malheur de tomber dans ce laps de temps, le/la collègue répond systématiquement, tel(le) un dvd qui bogue « Il/elle s’est levée », sous-entendant qu’il a quitté à peine son poste, vous l’avez manqué de peu. Si vous avez la mauvais idée, que dis-je, l’idée absolument incongrue de vouloir attendre, préparez-vous à perdre une matinée. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir: magazines, croissants chauds?

 

Tout ceci pour dire que ce matin je me suis levé. Ça y est vous avez compris! Pas pour un business, mais simplement pour aller récupérer mon permis de conduire que je passe dans la bouche depuis une bonne dizaine d’années. J’arrive à la Direction des Transports à 9h32. Je le sais parce que quand je me « lève », je regarde tout le temps ma montre, en fonction de la durée de mon absence, il faut inventer une excuse crédible!  Aucun préposé aux renseignements. Je m’adresse donc à un policier qui garde jalousement la porte d’entrée. Je lui fais comprendre que c’est pour un retrait de permis, il me désigne du menton une rangée de bancs où je suis censé faire la queue. Je signale au passage qu’il était gentil, poli et courtois. Cela arrive suffisamment rarement pour que je le souligne. Le problème c’est que dans la rangée de bancs, les gens qui attendaient étaient assis un peu n’importe comment, difficile de comprendre qui était le dernier de la file. Je m’assois donc prudemment au dernier rang en attendant de mieux cerner la situation. Il m’a fallu cinq bonnes minutes mais entendant un jeune homme protester que quelqu’un lui soit passé devant, j’ai finalement compris. Je prends donc place. J’avais une position privilégiée pour observer le véritable désordre organisé qui se déroulait sous mes yeux ahuris. Quatre services étaient traités dans l’immeuble gardé par le policier: les retraits de permis, de cartes grises d’une part et les dépôts de dossiers d’immatriculation auto et dépôts de dossiers d’immatriculation moto d’autre part. Tu m’étonnes que ça bouchonne à l’entrée! Aucune info claire n’est affichée nulle part sur les procédures à suivre, il n’y a pas de numéro d’ordre, personne ne donne d’info. L’horreur absolue. Du coup, la plupart des propriétaires de véhicules ne font pas personnellement les démarches, le flou entretenu quant aux procédures a favorisé l’apparition d’une caste fournie de « démarcheurs ». La même chose est visible dans tous les services publics clés. Ils reçoivent des sous destinés à faire ce qu’on appelle le « glissement » auprès des agents des différents services. C’est fou ce que cela peut accélérer les procédures. Quand on dit que « time is money », certains ont compris que « money can buy you some time ». Ces démarcheurs ne font pas la queue, ils restent devant la porte d’entrée, attendant de glisser un petit billet dans la poche de qui voudra bien les faire entrer avant tous ceux dont moi qui étaient assis sagement à faire la queue. Manque de pot pour eux, l’agent de police en poste n’acceptait aucun pot de vin, je vous promets je ne fais pas exprès!

 

Les bancs initialement prévus pour faire la queue. Pratiquement vides, les démarcheurs préfèrent rester debout. ça va bien plus vite!
Les bancs initialement prévus pour faire la queue. Pratiquement vides, les démarcheurs préfèrent rester debout. ça va bien plus vite!
Il y a toujours des gens debout, attendant le bon moment pour rentrer
Il y a toujours des gens debout, attendant le bon moment pour rentrer
Un seul guichet et pas de queue. Bonjour le désordre!
Un seul guichet et pas de queue. Bonjour le désordre!

C’est ce qui m’inspire la réflexion suivante. La corruption est ancrée dans les moeurs des Togolais. Quand tu te rends dans un service public pour récupérer un papier pour lequel tu as payé, après l’avoir obtenu tu glisses un billet à l’agent qui t’a aidé et qui au demeurant n’a fait que son travail. Quand tu veux un document pour lequel tu n’es pas en règle et que tu le veux vite, tu paies un dessous de table au lieu de te mettre en règle. Tu es pressé, tu n’as pas envie de faire la queue, tu paies pour passer devant tout le monde, non tous les pauvres, qui n’ont pas de sous pour payer, qui n’est pas pressé? Les agents de l’administration sont tellement habitués à ces pratiques que quand tu reçois (enfin!) ton papier et que tu leur dis un merci empreint de reconnaissance, ils ne te répondent même pas. Tu n’as pas fait le glissement, tu es un ingrat fini! J’en connais qui ont été décontenancés ce matin quand l’agent de police a déclaré à haute voix: »Je ne prends rien. Le seul moyen d’entrer avant les autres, c’est d’être venus avant eux. Je ne peux rien de plus pour vous. » Le Monsieur est revenu honteusement s’assoir derrière. Pouvez-vous imaginer qu’un quart d’heure plus tard, il a retenté sa chance auprès du même agent avec le même résultat? Mon rayon de soleil de la journée.

 

Alors que je réfléchis, 1h37 s’écoulent (je vous dis que je regarde tout le temps ma montre!), neuf personnes sont rentrées dans le fameux bureau. Une seule est ressortie avec son permis. Tous les autres ont eu invariablement la même réponse « Repassez la semaine prochaine ». Mon tour arrive, je suis confiant. J’étais censé retirer mon permis définitif depuis le 21 Septembre. Même si l’administration de mon pays est inefficace, sclérosée, corrompue, j’imagine qu’à un moment durant ces plus de cent jours de retard, un agent dans un moment d’ennui a pris la peine de saisir mon nom de chevalier anti-glissement et transmis mon permis, histoire de me faire honte de ne pas avoir payé! Je rentre et tends mon permis provisoire et là, surprise. La dame n’a pas un listing sur ordinateur où il suffirait de saisir un identifiant pour me dire si elle a mon précieux sésame ou pas, non! Elle est entourée d’une dizaine de listes et pire, elles ne sont même pas classées ni par numéro ni par ordre alphabétique. A chaque fois que quelqu’un lui tend son permis provisoire, elle fouille chacune des listes à la recherche du nom. Si le tien y figure tant mieux pour toi, sinon tu connais déjà la réponse: « Revenez la semaine prochaine! » Elle fouille et refouille, résultat…rien! Je comprends mieux pourquoi à chaque quelqu’un rentre, il ne ressort pas avant un quart d’heure. Elle me demande de repasser la semaine prochaine. Tu m’étonnes.

 

Je ressors à 11h27. Je suis sous le choc pas parce que je n’ai pas eu mon permis mais parce que je me demande comment un tel service peut être efficace avec de telles méthodes et quand je pense que le nombre de voitures et de motos achetées à Lomé vont grandissant!

 

J’arrive finalement au boulot. Il est 11h46. Une matinée sans travailler. Et nous avons été des dizaines dans ce cas ce matin. Bonjour le Togo émergent!

 

Je me suis levé…je ne suis pas revenu.

 

« Il s’est levé »…et il ne revint pas