A tous les jardiniers qui s’ignorent

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Un jour, il t’arrivera de vouloir accomplir quelque chose de plus grand que ce que tu as fait de ta vie jusque-là, quelque chose de plus grand que toi-même. Ce jour-là, tu mettras un plant en terre.

Jardiner est une activité reposante, délassante mais tu dois savoir que tous les planteurs n’ont pas la main verte. Tu apprendras que pour faire une belle plante, il faut du soleil, de la pluie, mais de l’ombre, de l’amour et de la patience aussi. Lorsque tu sors sous le ciel radieux, prends garde aux oiseaux, de peur qu’ils ne mangent le semis. De la même façon tu t’inquiéteras lorsque le bourgeon sortira de terre, et des saisons durant, ton sommeil sera troublé par moult dangers que tu auras aperçus dans les nuances de l’azur.

Jardinier, tu veilleras. Tu veilleras près de la terre nourricière, épiant tout mouvement dans l’obscure nuit, craignant les atermoiements des cieux. Tous les matins, tu guetteras les signes annonciateurs de l’éclosion. Mille fois, tu t’en retourneras sans réponse. Et puis ce matin-là vaudra toutes les attentes, toutes les sueurs froides, toutes les tempêtes sous ton chapeau de paille. Ce matin-là, dans toute sa noblesse, comme si tout lui était dû, le bourgeon apparaîtra. Minuscule et superbe, il appellera les regards, exigera l’admiration et narguera ton émerveillement. Tu auras beau arrosé la graine, nourrir le sol d’engrais, la poussée du bourgeon t’échappera, car depuis la nuit des temps, c’est un conseil secret qui n’appartient qu’à la graine et à sa terre. Elles feront tout, ne te laissant que le choix de t’inventer toi-même, t’engendrer parmi les amoureux des coteaux exposé au levant, t’appeler jardinier, si tu le veux, si tu le peux. Elles n’en n’ont cure.

Dès lors, tu arroseras de plus belle, parsèmeras de ton attention les recoins du jardin. Tu donneras beaucoup, recevras si peu. Et pourtant cela t’empliras d’une joie indicible. Tu admireras ta plante qui se dresse délicatement au-dessus du sol, tu t’émouvras de sa fragilité, et elle rira de ton émotion.

Plante qui pousse peut rapidement devenir herbe folle. Tu improviseras donc un tuteur pour l’élever haut dans le ciel. Avec les saisons, tu élagueras çà et là les branches difformes ou impropres. Tu éloigneras avec véhémence moucherons et pucerons. Puis tu arroseras, sans cesse, toujours, avec plus d’eau, plus longtemps. Et quand elle se fera indocile ta plante, inlassablement, tu retourneras les feuilles vers le soleil, qu’elles se gorgent de lumière et de ciel. Elle en viendra à jurer contre le soleil, et toi patiemment, tu garderas l’œil rivé à ton but.

Puis les printemps succédant aux automnes, les feuillages verts faisant suite aux feuillages de feu, ta plante étendra ses bras au-dessus du jardin. Elle te tutoiera du haut des cimes et tu regarderas avec fierté ses branches se lancer à l’assaut du firmament. Elle se sera profondément ancrée dans le sol, plongeant ses racines dans les abîmes pour se nourrir goulument de la générosité de la nature, elle aura découvert une quelconque nappe sous-terraine et n’attendra plus ton arrosage quotidien. Lorsque le soleil brilla fort, les dimanches tu goûteras ton pastis avec famille et amis, refaisant le monde encore et encore, assis à son ombre. Ta jolie plante sera devenue un arbre majestueux. Il portera du fruit, parce que c’est ce qu’attend tout jardinier de sa graine. Du fruit coloré et juteux. Ce jour-là tu seras fier car ton travail n’aura pas été vain.

Mais pour l’heure, tu es étendu, fumant une énième cigarette, ou consultant nonchalamment ton téléphone. Tu es si loin de t’imaginer que la plus grande aventure de toute ta vie vient de commencer : tu viens de faire l’amour, tu as planté ta graine. Un jardinier vient de naître.

  • J’ajoute à ce texte, la musique que j’ai écoutée en l’écrivant. Cette chanson me fait toujours penser à ma petite plante à moi, celle pour qui je me bats tous les jours, celle pour qui je forme une armée à moi seul. Mo, this text is for you.
A tous les jardiniers qui s’ignorent

12 réflexions sur “A tous les jardiniers qui s’ignorent

  1. bulldegum dit :

    J’ai découvert ce blog un peu par hasard. Que dire?
    C’est juste le premier de ton texte dont je me suis délecté, et je sais déjà qu’il ne me faudra pas longtemps pour lire tout le site. J’ai bien aimé cette (grosse) digression.
    Je n’avais pas vu venir cette conclusion.
    En fait, je me demandais ce qui pouvait bien justifier cet amour pour la petite fragile plante, à l’image de celui que Le Petit Prince vouait pour sa Rose. Et là, j’ai saisi, la plante est une partie de soi qu’on offre au monde, un cadeau qui se donne à deux. Il nous faut donc en prendre soin.
    D’ailleurs, je n’ai pas attendu de mettre ma propre graine en terre pour commencer l’élagage. Je suis plutôt actif dans la chasse aux moucherons et pucerons qui gravitent autour du second cadeau de mes parents à Mère Humanité, tout en lui donnait aussi l’espace nécessaire pour s’épanouir, toute seule.
    Tu m’as donné envie de me mettre au jardinage. Au propre, comme au figuré.

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    1. De loin, un des plus beaux commentaires qu’on m’ait laissé jusqu’ici. Merci beaucoup ! Je l’ai lu et relu avec un plaisir certain.
      J’espère que tu laisseras un petit mot à ta graine quand elle sera en terre 🙂

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      1. bulldegum dit :

        J’apprécie énormément ton style, le genre qui raconte une histoire.
        Ah, ma graine, oui, je lui en laisserai. Néanmoins, pour le moment, j’attends. Je peux imaginer un peu ce que ça fera d’être en attente d’un si heureux événement, mais je pense que je ne saisirai vraiment cela que lorsque ma graine commencera à pousser fortement pour enfin sortir de terre.
        A ce moment là, je lui écrirai, continuellement. Sans jamais m’arrêter.
        Actuellement, mes petits mots sont pour cette terre fertile qui accueillera avec béatitude le fruit de mes entrailles, terre que je ne cesse d’entretenir chaque jour que le bon Dieu fait.

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